Lien social et vieillissement en santé

Des récits et photos de femmes musulmanes immigrantes montrent ce qu’il faut pour bien vieillir dans un nouveau pays

C’est une photo de mon village au Liban… c’était la terre de mes parents… j’ai beaucoup de souvenirs de mon enfance au village, où j’ai grandi. [femme participant à la WOMEN-CONNECT Study]

Photo : WOMEN-CONNECT Study

Pour bien vieillir, il faut cultiver ses liens sociaux. Cela peut être difficile pour certaines personnes, notamment les femmes musulmanes âgées qui ont immigré au Canada. Jordana Salma, professeure adjointe à la Faculté des sciences infirmières de l’University of Alberta, se penche sur les difficultés auxquelles les femmes musulmanes font face ainsi que sur les atouts qui leur permettent de rester en lien et en santé tandis qu’elles vieillissent loin de leur pays natal.

Comment une vie sociale riche est gage de bien-être

Jordana Salma a grandi en Afrique de l’Ouest et au Liban, entourée de femmes musulmanes fortes. Mais quand elle est arrivée au Canada, elle a observé que les femmes musulmanes étaient souvent présentées comme des victimes. Elle s’est dit que c’était peut-être attribuable au manque de liens sociaux – un problème qui lui est apparu de plus en plus évident quand elle a commencé à exercer son métider d’infirmière autorisée, aidant des femmes musulmanes à se remettre d’un accident vasculaire cérébral. Elle s’est d’abord concentrée sur l’adhésion aux médicaments mais, en échangeant avec ses patientes, elle a vite réalisé que cela n’était qu’un facteur du maintien en santé.

De la bonne nourriture et de bonnes relations revêtent beaucoup d’importance. Cela fait 20–30 ans que nous nous réunissons entre filles. [femme participant à la WOMEN-CONNECT Study]

Photo: Women-CONNECT Study

Jordana Salma a constaté qu’elles parlaient d’être en lien, d’être incluses et de ce que cela signifiait pour leur santé de ne pas être incluses. Selon elle, les femmes qui avaient moins de liens sociaux ne composaient pas aussi bien avec leur état de santé, et celles qui entretenaient des liens solides avaient un meilleur pronostic.

Donner voix au chapitre aux femmes musulmanes âgées

Elle s’emploie maintenant à approfondir la question, ayant obtenu une subvention Savoir du CRSH pour mener un projet faisant appel à une démarche Photovoice : elle a demandé à des femmes musulmanes âgées d’Edmonton de se prêter à des interviews et de fournir jusqu’à une vingtaine d’images représentant leurs liens sociaux. (La cocandidate, Karen Kobayashi, est malheureusement décédée en mai alors que le projet se déployait; son mentorat et ses conseils seront vivement regrettés.)

Pour certaines femmes, les liens sociaux se conjuguent au présent : nombreuses sont celles qui ont fourni des photos de leurs enfants et petits-enfants ou des photos de vacances en famille. Pour d’autres, il s’agit de liens avec le passé, à savoir des photos de leurs parents et de leurs grands-parents et d’endroits spéciaux dans leur pays d’origine.

Le projet est toujours en cours, mais déjà deux grandes constatations en émanent. La première a trait à l’importance de la littératie numérique, qui est cruciale pour aider les femmes musulmanes âgées vivant au Canada à rester en contact avec leurs amis et leurs proches ailleurs dans le monde au moyen d’outils tels que WhatsApp. La deuxième, c’est l’importance de créer de nouveaux liens à mesure que la situation personnelle évolue. Ainsi, une femme qui a perdu son époux et a commencé à faire du bénévolat à la mosquée a dit que les liens qu’elle y a créés ont grandement amélioré sa santé physique et mentale.

La mosquée Al-Rashid à Edmonton, qui a ouvert ses portes en 1938, a été la première mosquée au Canada et l’une des premières en Amérique du Nord. Depuis, c’est un lieu propice à l’établissement de liens culturels pour la communauté musulmane libanaise d’Edmonton.

Photo: Women-CONNECT Study

Jordana Salma avait interviewé quelque 35 femmes au milieu de 2022 et elle espérait atteindre un total de 50 participantes. Elle bénéficie du soutien d’un groupe consultatif de 12 femmes musulmanes de divers horizons ainsi que de six étudiantes de premier cycle musulmanes qui apportent leur aide à la recherche et à l’analyse des données.

Quand les communautés musulmanes voient des personnes avec lesquelles elles peuvent s’identifier mener des recherches, elles ont davantage confiance, explique-t-elle. Elles pensent qu’elles seront représentées de façon juste et ne seront pas stéréotypées une fois de plus.

Bon nombre des interviews initiales ont été menées en ligne, mais maintenant que la pandémie s’atténue, des séances de groupe en personne sont organisées pour permettre aux participantes d’échanger sur leur vécu et de créer de nouveaux liens.

Faire connaître son histoire

Les récits recueillis dans le cadre du projet seront réunis pour créer une exposition en ligne et possiblement une exposition itinérante qui pourra être présentée dans les mosquées ou les universités, ce qui permettra aux communautés musulmanes de voir leur perception du vieillissement prise en compte dans les espaces publics. Les femmes musulmanes sont sous-représentées dans les médias, et bon nombre de participantes ont dit à Jordana Salma qu’elles étaient impatientes que le reste du monde puisse voir leurs photos sans que leur visage soit brouillé ou que les détails soient rendus anonymes.

Jordana Salma espère que le projet mettra en évidence la nécessité d’élaborer des politiques sur le vieillissement tenant compte des immigrants, car la plupart sont conçues pour aider les personnes nées au Canada à bien vieillir dans un pays qui a été leur chez-soi toute leur vie durant.

Les pays à faible revenu et pays à revenu intermédiaire sont ceux dont la population vieillit le plus rapidement dans le monde, et il faut donc davantage de recherche proposant des points de vue différents sur la signification du vieillissement, estime-t-elle. Nous pourrons ainsi approfondir ces points de vue et mieux voir comment nous pouvons appuyer toutes les Canadiennes et tous les Canadiens qui vieillissent.

En savoir plus

Pour en savoir plus sur les travaux d’Asma Sayed, on peut la suivre sur Twitter à @DrAsmaSayed et lire l’entrevue (en anglais) qu’elle a accordée à la publication en ligne The Runner.