Une approche d’innovation sociale est nécessaire pour lutter contre l’itinérance au Canada

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Publié dans The Hill Times, supplément sur l’innovation, le 16 octobre 2023 [en anglais] – abonnement requis

Ted Hewitt, Président, Conseil de recherches en sciences humaines

Comme nous le savons, le logement est une question cruciale pour la population canadienne. Les quotidiens titrent le manque de logements abordables, la hausse vertigineuse des loyers dans toutes les régions, des jeunes adultes qui renoncent à l’accession à la propriété et des personnes âgées à revenu fixe qui n’ont pas les moyens de rester dans leur logement. Le message est clair : le Canada est confronté à une crise du logement. En réponse, le gouvernement fédéral a fait du logement une priorité nationale.

Parfois – mais pas toujours – les articles de presse se concentrent sur un problème dévastateur lié à la crise du logement, mais qui n’en est pas toujours le résultat direct : l’itinérance. Comme le rappelle le Canadian Observatory on Homelessness, l’itinérance est communément définie comme étant « la situation d’une personne, d’une famille ou d’une collectivité qui ne dispose pas d’un logement stable, sûr, permanent et approprié, ou qui n’a pas la perspective, les moyens et la capacité immédiats de s’en procurer un ».

Pendant la pandémie, l’itinérance est devenu un problème plus « visible » avec l’apparition de campements et de villages de tentes dans les zones rurales et les centres-villes. La COVID-19 n’a pas seulement révélé des inégalités et des injustices sociales préexistantes, elle les a également intensifiées et a aggravé les conditions de vie de populations et de personnes déjà marginalisées. Dans le monde, on estime à 150 millions le nombre de sans-abris chaque jour. Au Canada, on estime à 235 000 le nombre de sans-abris chaque année, dont environ 40 000 jeunes âgés de 13 à 24 ans. Ces chiffres ne sont que des estimations et sous-estiment probablement la population de sans-abris du Canada. Statistique Canada tente de dresser un portrait national plus précis de l’itinérance.

L’itinérance est un problème difficile en raison de sa persistance, de sa complexité et de ses interdépendances. Elle est liée à toute une série d’autres problèmes tels que la santé mentale, la toxicomanie, l’immigration massive, la violence conjugale, les abus sexuels, les failles du système de protection de l’enfance, la disponibilité des aides à l’éducation et à la formation, le racisme et même les effets des changements climatiques. L’itinérance est également aggravé par des forces structurelles telles que l’inflation, la rareté des logements à bas prix, la capacité du système d’hébergement, l’insuffisance des services de santé mentale et le manque d’eau potable dans les communautés isolées et autochtones. Il s’agit d’une question politique qui transcende tous les ordres de gouvernement.

Pour atteindre l’objectif de réduction de 50 p. 100 de l’itinérance chronique d’ici 2027-2028, comme le soulignent la Stratégie nationale sur le logement de 2017 et la Stratégie canadienne de lutte contre l’itinérance de 2018, nous devons nous tourner vers des voies nouvelles et inclusives. Pour résoudre un problème aussi épineux, il est nécessaire d’adopter une approche et des solutions fondées sur l’innovation sociale.

L’innovation sociale consiste à développer des politiques et des stratégies systémiques. Elle nécessite la conception de solutions créatives et pratiques qui intègrent l’inclusion, la cocréation de connaissances et la résilience, et qui prennent en considération les causes et les expériences uniques de l’itinérance pour des groupes précis comme les jeunes et les populations autochtones. Elle fait aussi appel aux collaborations multidisciplinaires intersectorielles et intergouvernementales.

Les connaissances générées par une recherche de haute qualité en sciences humaines s’avèrent la fondation de politiques d’innovation sociale efficaces pour lutter contre l’itinérance. En voici quelques exemples :

  • Les recommandations issues de la recherche sur et avec les jeunes sans-abris 2SLGBTQ+, organisée par Alex Abramovitch du Centre de toxicomanie et de santé mentale et du Mental Health Institute for Mental Health Policy Research, ont conduit à de nouveaux programmes de logement inclusif. Le projet a également révélé la prévalence des problèmes de santé mentale chez ces jeunes et leur manque d’accès aux services de santé mentale.
  • Le Canadian Observatory on Homelessness est un partenariat mondial de recherche et de politique entre des universitaires, des décisionnaires, des prestataires de services et des personnes ayant vécu l’itinérance. Dirigé par Stephen Gaetz de l’Université York, un récent projet du Canadian Observatory on Homelessness vise à faire passer un secteur dépendant des services d’urgence à un système stratégique et coordonné de politiques, de services et de pratiques fondés sur la prévention de l’itinérance. Le projet met l’accent sur le développement de partenariats réciproques avec les parties prenantes autochtones afin de soutenir un programme de recherche mené par les Autochtones pour mettre fin à l’itinérance.
  • À Victoria, en Colombie-Britannique, une collaboration de recherche communautaire entre des femmes âgées sans domicile, des chercheures et des chercheurs universitaires et des partenaires communautaires a permis de mieux comprendre les voies qui mènent à l’itinérance et son impact sur la santé et la qualité de vie des femmes âgées. Dirigée par Denise Cloutier de la University of Victoria, la recherche a également permis de formuler des recommandations concrètes pour générer des changements au niveau des systèmes par une collaboration multisectorielle.

La crise est souvent un puissant stimulant d’innovation sociale. Le Canada doit tirer parti de ses atouts en matière de recherche en adoptant une approche systémique pour lutter contre la crise de l’itinérance.

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